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Le rôle des banques centrales dans une économie mondialisée

Intervention de Jean-Claude Trichet, Président de la BCEle 18 juin 2007à l’occasion de la 13ème Conférence de Montréal

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de votre invitation à cette 13ème Conférence de Montréal, organisée par le Forum économique international des Amériques. Je suis très heureux de pouvoir intervenir aujourd’hui devant un auditoire aussi distingué. J’apprécie beaucoup votre objectif visant à organiser de vastes débats, ouverts, sur les questions économiques majeures à l’échelle internationale. Le thème de la conférence de cette année, Réussir dans un monde incertain – de l’évaluation du risque à la décision stratégique, est particulièrement d’actualité et exigeant. Nous sommes souvent confrontés, à la Banque centrale européenne, à des incertitudes, mais nous pouvons nous appuyer sur notre stratégie de politique monétaire lorsqu’il s’agit de fixer le cap.

L’un des sujets qui revient le plus souvent dans le programme de la Conférence est la mondialisation, ce qui se justifie pleinement au vu de la très grande importance du processus en cours. Je voudrais, si vous me le permettez, examiner avec vous le rôle des banques centrales dans une économie mondialisée. Je tracerai tout d’abord les contours du débat. J’évoquerai ensuite l’intégration de la zone euro dans l’économie mondiale. Je décrirai, enfin, certaines conséquences de la mondialisation pour les banques centrales.

1. Quelques tendances sous-jacentes de la mondialisation

La mondialisation recouvre un ensemble de phénomènes et de tendances ayant conduit à une plus grande interdépendance de la plupart des économies dans le monde. Il en résulte une forte augmentation des échanges transfrontaliers de biens et services, de capitaux, de main-d’œuvre et de ressources naturelles. J’ajouterais que l’on assiste parallèlement à une augmentation très significative des échanges transfrontières d’idées et de concepts entre les diverses institutions, organisations et instances des sociétés civiles elles-mêmes. Le concept de mondialisation s’est imposé au cours des vingt dernières années et le phénomène s’est particulièrement accéléré lors de la décennie écoulée, sous l’effet d’une conjonction de facteurs comme la diffusion de technologies de l’information et de la communication toujours plus sophistiquées et abordables. Les coûts liés au transport de marchandises ont également diminué. Les économies ont continué de s’ouvrir et de nombreuses barrières commerciales et financières ont été levées. Partout, les obstacles nationaux à la circulation des biens, des services et des facteurs de production se sont estompés. Les flux d’investissements directs étrangers (IDE) ont également significativement augmenté, entraînant une internationalisation des processus de production et de nouvelles méthodes de travail, les entreprises installant des filiales à l’étranger dans le double but d’accéder à des marchés internationaux et de réduire leurs coûts de production.

Grâce à la mondialisation, de nombreux pays émergents ont pu accéder aux marchés mondiaux et prendre part à la compétition internationale. Pour prendre la mesure du phénomène au niveau de la planète, il faut noter que la main-d’œuvre disponible active sur les marchés mondiaux a probablement doublé en passant de 1,5 milliard à 3 milliards de personnes avec l’ouverture de la Chine, de l’Inde, de nombreuses économies autrefois planifiées et de plusieurs autres pays émergents. La mobilité de la main-d’œuvre reste limitée à l’échelle de la planète, mais la flexibilité accrue des flux de capitaux apporte aux entreprises un accès beaucoup plus aisé qu’auparavant à l’offre mondiale de travail. De nombreuses industries ont par conséquent installé des chaînes de production au niveau mondial.

Je voudrais évoquer l’ampleur et la portée de la mondialisation à travers quelques chiffres. L’ouverture des marchés mondiaux – mesurée par la part des exportations et des importations mondiales de biens et services exprimée en pourcentage du PIB mondial – a pratiquement doublé au cours des vingt années écoulées, passant de 33.9 % du PIB mondial en 1986 à 60 % du PIB mondial en 2006. Un facteur de plus en plus décisif a été l’accroissement des échanges de biens et services intermédiaires ayant découlé de la progression de l’internationalisation des processus de production.

Les systèmes financiers (marchés, infrastructures ou institutions) sont également profondément affectés, car le renforcement des incitations pour les investisseurs à détenir des actifs étrangers dans leurs portefeuilles et la multiplication des possibilités de diversifier et de répartir les risques financiers à l’échelle du globe ont eu une influence sur l’ensemble des composantes de ces systèmes.

Permettez-moi d’illustrer brièvement certaines évolutions marquantes. La part des actifs internationaux bruts en pourcentage du PIB – qui fournit une mesure de l’ouverture des systèmes financiers – a été multipliée par huit au cours des vingt-cinq dernières années et représente à ce jour 130 % du PIB mondial. Quant aux flux mondiaux de capitaux, leur composition a fortement évolué ces dernières années. Alors que les flux d’investissements directs étrangers et les opérations internationales sur actions étaient dominants à la fin des années 1990, les opérations transfrontalières de portefeuille portant principalement sur des actifs plus liquides ont augmenté récemment, expliquant la plus grande partie de la hausse des mouvements mondiaux de capitaux. La distribution internationale des risques et le transfert d’épargne nette entre les pays sont deux éléments importants de ce processus.

Les économies de marché émergentes accroissent leur part dans le PIB mondial. En données agrégées, elles ont enregistré des sorties nettes de capitaux de USD 650 Mds en 2006 contre USD 458 Mds en 2005. Le solde net des investissements directs est resté globalement inchangé sur cette période, les entrées nettes s’établissant à USD 267 Mds en 2006. En revanche, le solde des investissements de portefeuille, qui inclut le secteur public, a enregistré des sorties supérieures en 2006, atteignant USD 379 Mds contre USD 258 Mds en 2005, tandis que les investissements de portefeuilles vers les économies émergentes décroissaient légèrement. Au total, les économies émergentes ont fourni au reste du monde des ressources nettes correspondant au montant de leurs excédents courants. Cela s’explique principalement par les capacités d’absorption en interne limitées de ces économies et leurs systèmes financiers peu développés.

La mondialisation renforce la prospérité économique et permet l’amélioration des niveaux de vie par différents canaux. La concurrence internationale est plus vive, les transferts de technologies et de connaissances plus nombreux. Il en résulte des gains de productivité et une croissance mondiale plus forte. Les surplus d’efficacité économique contribuent à abaisser les coûts pour les entreprises et les prix des biens échangeables. La palette de nouveaux produits est de plus en plus vaste. Les ressources sont allouées aux activités les plus profitables dans le monde, tandis que les possibilités de diversification et de distribution des risques augmentent à l’échelle de la planète. La surveillance exercée par les investisseurs internationaux est également un vecteur de discipline accroissant la qualité des politiques économiques intérieures, ce qui participe à l’amélioration des fondamentaux économiques.

La mondialisation pose toutefois également un certain nombre de défis et s’accompagne de certains risques. L’intégration mondiale de plus en plus étroite et le renforcement de la libre circulation des capitaux ont rendu le système financier international plus sensible aux changements d’appréciation des investisseurs. De plus, les échanges internationaux et les liens financiers sont susceptibles d’intensifier la transmission des chocs d’un pays à l’autre et d’amplifier les effets de propagation par-delà les frontières. Il convient de ne pas perdre de vue que, il y a quelques années, une série de crises financières ont fait peser de sérieuses menaces sur le système financier international, à l’instar de la crise asiatique qui a débuté en 1997 ou de la crise russe en 1998. Ces crises avaient un caractère spécifique et la communauté internationale a su les résoudre. Chaque crise a illustré la nécessité d’investir de manière appropriée dans les institutions et le capital humain afin de renforcer la gouvernance économique. Je reviendrai sur l’incidence de crises financières majeures pour les banques centrales dans la troisième partie de mon propos. Les crises passées témoignent de la vulnérabilité du système économique et financier mondial et nous rappellent qu’il convient de toujours rester alerte et de ne jamais être complaisant.

2. L’intégration de la zone euro au sein d’une économie mondialisée

Ma deuxième piste de réflexion a trait aux liens économiques et financiers existant entre la zone euro et le reste du monde. Je veux souligner que l’intégration intra-européenne s’est déroulée en parfaite harmonie avec l’intégration de l’Europe au sein de l’économie mondiale. Par exemple, du point de vue commercial, la zone euro est très ouverte sur le reste du monde, plus ouverte que les États-Unis et le Japon. Les exportations de biens et services hors zone euro s’élèvent à quelque 20 % du PIB de la zone, un chiffre sensiblement identique à celui des importations en provenance du reste du monde. Ces chiffres sont nettement supérieurs à ceux des États-Unis et du Japon. Dans le premier cas, les exportations et les importations de biens et de services représentent, respectivement, environ 10 % et 16 % du PIB. Au Japon, les exportations totales s’élèvent à 15 % du PIB et les importations à 13,4 %. Ce qui est en outre particulièrement remarquable pour la zone euro, c’est que l’augmentation du commerce avec le reste du monde a même été supérieure à l’augmentation des échanges au sein de la zone euro.

Plus remarquable encore, peut-être, la zone euro est, du point de vue financier également, davantage ouverte que les États-Unis et le Japon. Je voudrais faire quatre observations. En premier lieu, les avoirs et engagements extérieurs de la zone euro sont très importants en pourcentage du PIB, avec environ 124 % et 137 % respectivement. Par comparaison, les chiffres correspondants pour les États-Unis sont sensiblement inférieurs, les avoirs extérieurs représentant 90 % du PIB et les engagements 110 %. Au Japon, les actifs financiers étrangers sont également nettement inférieurs à ceux de la zone euro, avec 94 % du PIB en 2005, l’écart étant encore plus grand en ce qui concerne les engagements extérieurs, qui s’élèvent à seulement 60 % du PIB, soit moins de la moitié du chiffre correspondant de la zone euro. Cela démontre bien à quel point la zone euro est tournée vers le reste du monde.

Ma deuxième observation tient au fait que la monnaie unique a très probablement contribué à l’ouverture financière de la zone euro. Du côté des avoirs, les encours d’actifs de la zone euro détenus en dehors de la zone sont passés de moins de 87 % du PIB en 1999 à, comme indiqué, plus de 124 % en 2005. S’agissant des engagements, la hausse a également été substantielle, ceux-ci étant passés de quelque 92 % du PIB à 137 %. Les États-Unis ont enregistré des augmentations nettement moins marquées, l’encours des actifs américains détenus à l’étranger progressant de 80 % du PIB en 1999 à 90 % aujourd’hui et les engagements passant de 91 % à 110 % du PIB. En d’autres termes, l’augmentation a été plus forte pour la zone euro depuis le début de l’Union économique et monétaire.

Ma troisième observation, si vous le voulez bien, tient à l’attractivité de la zone euro en termes d’investissements directs étrangers. Les flux d’IDE vers la zone euro représentent en effet plus de 27 % de son PIB, contre 22,5 % pour les États-Unis. En pourcentage du PIB, la zone euro aurait été la destination d’un volume d’IDE comparable à celui reçu par la Chine – soit 27,3 % dans les deux cas – selon les statistiques du FMI. En termes nets, l’encours d’investissements directs à l’étranger est à peine supérieur à celui enregistré au sein de la zone euro, avec 30,4 % pour les premiers et 27,3 % pour les seconds).

Ma quatrième observation concerne les partenaires bilatéraux de la zone euro en matière d’IDE. Sur la base des données disponibles, il convient de noter que les IDE de la zone euro à l’étranger sont principalement réalisés dans des économies développées, avec près de 21 % aux États-Unis, 24 % au Royaume-Uni, 9 % en Suisse et entre 2,5 % et 3 % en Suède, au Canada et au Japon. De la même manière, du côté des engagements, le Royaume-Uni et les États-Unis représentent une part plus importante que du côté des actifs (environ 40 % et 23,5 % respectivement).

Il faut aussi signaler que le montant des IDE de la zone euro dans les économies de marché émergentes a progressé rapidement. Entre 1999 et 2005, les IDE réalisés par la zone euro dans les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) ont augmenté fortement. Sur cette période, l’encours des IDE dans ces pays est passé de 63 à 133 milliards d’euros (soit une hausse de 111 %). Par comparaison, au cours de la même période, l’encours des IDE de la zone euro aux États-Unis a progressé de 55 %, de 360 à 558 milliards d’euros. La zone euro elle-même est également devenue plus attrayante pour les investissements de ces pays. Entre 1999 et 2005, les encours d’IDE de ces pays à destination de la zone euro ont été multipliés par trois et sont passés de 4 à 12 milliards d’euros, même s’ils restent faibles en termes relatifs. Ainsi, au cours de la même période, les investissements des États-Unis dans la zone euro ont progressé de 322 milliards d’euros à 560 milliards. Ce sont les investissements réalisés par les entreprises brésiliennes et russes qui se taillent la part du lion dans la hausse des IDE des pays du BRIC à destination de la zone euro, mais les IDE en provenance de Chine et d’Inde ont augmenté ces dernières années.

Dans l’ensemble, ces données témoignent qu’il n’existe pas de « forteresse Europe », ni de « forteresse zone euro ».

3. Les conséquences de la mondialisation pour les banques centrales

Ma troisième piste de réflexion concerne les conséquences de la mondialisation pour les banques centrales du point de vue de leurs deux missions principales, à savoir la conduite de la politique monétaire et leur contribution à la stabilité financière.

La mondialisation et la politique monétaire

La question de l’impact de l’épisode historique de mondialisation accélérée que nous observons depuis quelques mois sur l’inflation est à la fois importante et controversée. La théorie économique exhibe de nombreux canaux par lesquels la mondialisation peut influencer le niveau des prix mais ces influences ne sont pas univoques.

J’ai déjà évoqué le phénomène fondamental de l’expansion de la main d'oeuvre disponible au niveau de l'économie mondiale avec l'ouverture généralisée des économies émergentes et des anciennes économies communistes. Ce phénomène exerce en particulier une pression à la moindre hausse du coût du travail, en particulier du travail non qualifié. D'une manière plus générale il a tendance à modifier significativement au niveau mondial l'équilibre précédent entre le capital et le travail. La mondialisation exerce également une pression favorable à la stabilité des prix en renforçant significativement la concurrence à l'échelle mondiale, diminuant la capacité des entreprises de fixer les prix et en exerçant une pression sur les coûts unitaires de production dans les pays industrialisés.

Enfin, troisième influence, en harmonie avec les deux remarques précédentes, la mondialisation a également exercé une influence positive sur la productivité du secteur productif au niveau mondial en facilitant et en accélérant le phénomène de restructuration et d’optimisation de la division du travail dans une perspective transfrontière élargie.

Mais il serait naïf de croire que la mondialisation ne fonctionne qu’à sens unique dans ses relations avec l’inflation.

Ainsi l’irruption de nouvelles économies en croissance très rapide dans l’économie mondiale exerce une pression à la hausse des prix des produits miniers et des énergies fossiles. Ce phénomène est particulièrement visible depuis 2003.

Le même phénomène de hausse des prix est observé s’agissant de certaines productions agricoles. L'accession, en particulier, d'une nouvelle nombreuse classe moyenne à un niveau de vie significativement plus élevé se traduit par des changements importants des habitudes alimentaires et, par voie de conséquence, de l’économie des secteurs de la viande, des céréales et des produits frais au niveau mondial.

Les influences théoriques sur les prix qu l’on peut associer à la mondialisation étant nombreuses et de sens différents, une conjecture en quelque sorte naturelle pourrait être de présumer que la mondialisation en tant que phénomène continu, exerçant son influence sur une durée moyenne- longue se traduit par des changements substantiels des prix relatifs - les prix des produits manufacturés baissant et les prix du pétrole, du gaz et de certains produits de base augmentant - sans pour autant que le niveau général des prix soit significativement affecté.

Les recherches empiriques ne permettent toutefois ni de confirmer de manière irréfutable, ni de réfuter cette conjecture dans la période récente. Au total les données disponibles confirment bien que les prix des produits manufacturés importés dans la zone euro étaient toujours inférieurs, fin 2006, à leur niveau de 2001. Bien que les prix à l’importation des matières premières ont fortement augmenté depuis 2003, on peut considérer que sur la même période, l’accélération de l’ensemble des prix à l’importation, tous produits confondus, a été modérée par une partie croissante d’importations de la zone euro en provenance des pays à bas coûts de production (Pays de l’Europe de l’eest et d’Asie, en particulier Chine).

Il reste que le phénomène de mondialisation et de son accélération depuis le milieu des années 1990 a coïncidé avec un recul du niveau de l’inflation dans le monde et une baisse de sa volatilité. De manière concomitante et comme une conséquence de cette stabilisation de l’inflation à un bas niveau, on a observé également une plus faible volatilité des variables macroéconomiques.

Mais il ne faudrait pas en conclure que cette corrélation de la mondialisation et de la faible inflation démontre une relation de causalité. On peut en effet identifier plusieurs autres facteurs — indépendants de la mondialisation — contribuant à expliquer ces bons résultats. J'en vois au moins quatre.

En premier lieu les progrès très rapides de la science et de la technologie, en particulier des technologies de l’information et de la communication — conduisant à d’importants progrès de productivité qui coïncident avec la globalisation et en sont d’ailleurs une des causes. En second lieu aux réformes structurelles qui ont été menées dans le monde industrialisé à partir du début des années 1980 et qui se sont progressivement intensifiées dans l’ensemble des économies. Ces réformes structurelles tout comme la diffusion des progrès technologiques ont contribué à accroître le potentiel de croissance des économies et donc à faciliter la stabilité des prix. En troisième lieu à la discipline budgétaire accrue qui a marqué la plupart des économies durant la période récente après les dérèglements budgétaires de la période précédente. Et enfin à la politique monétaire suivie par les banques centrales et à leur crédibilité accrue.

C’est sur ce dernier point que je voudrais insister. Quelles que soient les influences qui s’exercent dans le contexte de la mondialisation le principe fondamental permettant l’ancrage de la politique monétaire demeure : à long terme, l’inflation est un phénomène monétaire. Par conséquent, la mondialisation n’affecte pas le rôle central ni la responsabilité principale des banques centrales, qui consistent à préserver la stabilité des prix.

Dans le court terme, la banque centrale doit continuer à ancrer les anticipations d’inflation à un niveau compatible avec la définition qu’elle a fixée de la stabilité des prix. Permettez-moi d’illustrer mon propos à l’aide d’un exemple. Prenons comme point de départ la forte hausse des prix de l’énergie observée ces dernières années. Je pars de l’hypothèse de l’engagement crédible de la banque centrale, qui bénéficie en outre de la confiance totale du public et des autres responsables de la politique économique, à maintenir la stabilité des prix. Les entreprises, pour lesquelles l’énergie est un intrant dans les processus de production, constatent une augmentation sensible et brusque des cours du pétrole. Au vu de l’engagement crédible d’assurer le maintien de la stabilité des prix à moyen terme et de l’ancrage solide des anticipations d’inflation à de bas niveaux, les entrepreneurs comprennent aisément que la hausse des cours affecte le prix relatif de l’énergie, alors que le niveau général des prix n’augmente peut-être pas autant. Ils sont par conséquent moins tentés de répercuter totalement l’augmentation du prix des intrants sur les consommateurs car, s’ils agissaient de la sorte, leur compétitivité pourrait s’en trouver fortement érodée, particulièrement dans un environnement mondial de plus en plus concurrentiel. Cet exemple montre que la crédibilité de la banque centrale réduit clairement les effets inflationnistes de second tour et minimise les fluctuations macroéconomiques en termes de production et d’inflation.

Qu’en est-il à présent du rôle des banques centrales dans la réduction des risques pour la stabilité financière découlant de la mondialisation.

L’interconnexion généralisée des systèmes financiers a créé un système financier mondial qui devient la véritable entité pertinente au niveau mondial. Ceci influe sur l’évaluation de la stabilité financière par les banques centrales de deux manières :

  • En premier lieu, celles-ci doivent placer davantage leur analyse de la stabilité financière dans une perspective mondiale. Ainsi, en ce qui concerne la zone euro, par exemple, on ne peut développer une vision exhaustive des principales sources de risques et de vulnérabilités pour le système financier sans prendre en compte les importants déséquilibres mondiaux ou les inquiétudes relatives aux excédents de liquidité.

  • En second lieu, la mondialisation des systèmes financiers exige une coopération transfrontalière renforcée et des échanges d’informations accrus entre banques centrales (ainsi qu’entre elles et les autres autorités contribuant à la stabilité financière). Cela devrait permettre, d’une part, de fournir une évaluation détaillée des risques et des vulnérabilités et, d’autre part, d'identifier les mesures adéquates et effectives à prendre. Au sein de l’Union européenne, c’est essentiellement le Comité économique et financier (et sa « Table de la stabilité financière » regroupant des représentants des ministères des finances, des banques centrales et des autorités de surveillance dans le domaine bancaire, des titres et des assurances) ainsi que le SEBC/Eurosystème qui poursuivent cet objectif. Au niveau du G 10, la réalisation de cet objectif incombe au Forum sur la stabilité financière et à d’autres comités sectoriels.

La mondialisation des systèmes financiers exerce également une incidence sur le rôle des banques centrales en ce qui concerne la définition de la réglementation et de la surveillance financières. Cette fonction relève des banques centrales, car soit elles exercent une responsabilité directe en matière de surveillance, soit elles interviennent à travers une mission de conseil aux gouvernements. De façon générale, la mondialisation financière nécessite une intensification des efforts de la part des régulateurs, au niveau transfrontalier, afin que ceux-ci établissent des normes réglementaires et de surveillance cohérentes. Il convient de promouvoir l’égalité de traitement et de réduire les arbitrages réglementaires. L’expérience de l’Union européenne, où la création d’un marché financier unique constitue un objectif stratégique majeur et suppose la levée de tous les obstacles potentiels dans les domaines de la réglementation et de la surveillance, fournit à cet égard une parfaite illustration. L’expérience de l’Union européenne atteste également l’utilité de procéder par étapes dans le processus de convergence, en se penchant d’abord sur les exigences réglementaires et, ensuite, sur les normes et pratiques en matière de surveillance. Dans ce contexte, je voudrais vous faire part de trois considérations.

  • Premièrement, dans les domaines clairement et anciennement identifiés il est important que les régulateurs des principaux systèmes financiers approfondissent et renforcent leur dialogue au niveau mondial. Nous soutenons en particulier l’initiative de la Commission européenne en vue d’étendre son dialogue régulier sur les questions réglementaires avec les États-Unis à d’autres pays importants, comme la Chine et le Japon.

  • Deuxièmement, nous voyons augmenter le nombre de domaines nouveaux dans lesquels le besoin d’une approche cohérente au niveau mondial se fait sentir. Les institutions financières à haut effet de levier illustrent bien cette situation. Sur la base du mandat donné informellement par le G8, le Forum sur la stabilité financière a joué et joue un rôle important dans la mise au point de recommandations au niveau mondial adressées aux régulateurs, aux contreparties des fonds à effet de levier, aux investisseurs dans ces fonds. Les institutions financières à haut effet de levier elles-mêmes ont été encouragées à mettre au point, sous leur propre responsabilité et de manière volontaire, leurs éléments de conduite optimale (« benchmarks ») du point de vue à la fois de la transparence vis-à-vis de leurs contreparties et de leurs propres investisseurs et du point de vue de leur gestion optimale de risques. On peut également citer les marchés de dérivés de crédit parmi les autres domaines pour lesquels une approche cohérente au niveau mondial est indispensable.

  • Troisièmement, d’une manière générale, beaucoup de progrès restent à faire pour harmoniser les pratiques effectives de surveillance au niveau international. C’est particulièrement paradoxal s’agissant des banques puisque le Comité de Bâle est le plus ancien et le plus avancé avec la mission de veiller à ce que les principes et les concepts de surveillance prudentielle soient définis de manière unique au niveau mondial. Mais compte tenu de la diversité des pratiques un effort très important d’harmonisation reste nécessaire et est actuellement effectué par le « Groupe pour l’application de l’accord » du Comité de Bâle, chargé d’étudier les questions de mise en œuvre pratique de la convergence des pratiques de surveillance bancaire au niveau international.

4. Conclusions

Je souhaiterais en conclusion appeler plus particulièrement votre attention sur les cinq points suivants :

Premièrement, n’oublions jamais qu’à la source de la mondialisation se trouve très largement le progrès scientifique et technologique. Pas de transmission instantanée et à très bas coûts des informations, des concepts et des services au niveau mondial sans les technologies nouvelles de l’information et de la communication. Pas d’expansion extrêmement rapide du commerce international des marchandises sans les progrès technologiques des transports maritimes et aériens.

Deuxièmement, si la science et la technologie sont à la source de la mondialisation contemporaine, celle-ci pourrait bien être un phénomène non seulement durable mais ayant tendance à se renforcer : rien n’indique en effet que les progrès scientifiques et techniques aient tendance à se ralentir, au contraire.

Troisièmement, la croissance rapide que nous observons au niveau mondial et les transformations très importantes dont cette croissance est à la fois le produit et la cause au niveau de chacune des économies, les changements rapides des poids économiques respectifs de économies des divers continents et de la structure de l’économie mondiale, par voie de conséquence, tout se conjugue pour rendre moins fiables les prévisions fondées sur les régularités observées dans le passé. L’incertitude a, par voie de conséquence, tendance à augmenter et des risques économiques et financiers à faible ou très faible probabilité mais à fort potentiel déstabilisateur apparaissent comme la contrepartie inévitable et somme toute « normale » d’une période de prospérité économique sans précédent. Ce n’est pas le moment d’être complaisant.

Quatrièmement, plus que jamais en période de mondialisation accélérée la crédibilité des banques centrales est essentielle pour ancrer solidement les anticipations d’inflation et constituer un socle robuste pour la stabilité monétaire et financière dans une économie internationale brillante et mobile mais dans laquelle l’incertitude et les risques ne peuvent être négligés.

Enfin cinquièmement, il est indispensable d’approfondir et de renforcer la gouvernance mondiale en exploitant au maximum toutes les possibilités offertes par l’ensemble des institutions formelles et informelles existantes et en consolidant la stabilité financière mondiale non seulement par l’unification des principes et des concepts de la surveillance prudentielle et de la régulation mais aussi par l'unification réelle, effective au niveau mondial de la mise en oeuvre pratique de la réglementation et de la surveillance.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.

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