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L’euro : succès et défis 

Intervention de Jean-Claude Trichet, Président de la Banque centrale européenne,
à l’ European American Press Club,
Paris, le 14 janvier 2005

Introduction

Mesdames, Messieurs,

C’est un grand plaisir pour moi de partager avec vous aujourd’hui quelques réflexions sur les succès et les défis de l’euro. L’intégration européenne n’a cessé de progresser au cours des dernières décennies, enregistrant des succès remarquables et engendrant de profondes mutations. L’euro, qui est probablement le symbole le plus visible et le plus évident de ce processus d’intégration, entre en 2005 dans sa septième année d’existence, avec une monnaie unique et une politique monétaire unique pour plus de 300 millions d’Européens. Dans l’ensemble, l’Union économique et monétaire a bien fonctionné dans un contexte parfois défavorable, apportant un démenti aux critiques, aux doutes et aux craintes exprimés avant sa création. Bien évidemment, l’euro s’accompagne également d’importants défis. Je voudrais vous présenter aujourd’hui ce que je considère comme les succès les plus marquants et les défis majeurs de l’euro. Je voudrais aussi évoquer la nécessité d’accepter les changements et les réformes pour aller de l’avant. En premier lieu, permettez-moi de passer en revue les succès obtenus à ce jour.

Les succès

Le premier succès sur lequel je voudrais insister est une réalisation d’ordre technique qui a permis la mise en œuvre harmonieuse de la politique monétaire unique dès le premier jour, je veux parler de l’intégration des marchés monétaires début janvier 1999. Grâce aux préparatifs techniques minutieux en vue de l’interconnexion des systèmes de paiement nationaux, les transactions interbancaires ont pu s’effectuer sans heurt et avec de faibles écarts. Si l’on considère les marchés de capitaux européens en général, l’arrivée de l’euro a certainement accéléré le processus d’intégration, en cours depuis plusieurs décennies, en éliminant les barrières entravant les transactions transfrontière et en ouvrant de plus larges perspectives en matière de partage et de diversification des risques. En particulier, les marchés de capitaux ont gagné en profondeur et en largeur grâce à la disparition du risque de change et au développement rapide de nouveaux compartiments, tels que le marché des obligations privées, permettant à un nombre accru d’investisseurs d’accéder aux différents marchés de capitaux de la zone euro. Cette évolution s’est traduite par une meilleure efficacité des marchés, contribuant à la croissance économique.

En deuxième lieu, le passage à l’euro fiduciaire a constitué une étape majeure de l’histoire monétaire européenne Ce fut également une opération particulièrement réussie sur le plan logistique. Changer la monnaie de plus de 300 millions d’Européens en l’espace de quelques semaines est une performance réellement impressionnante. L’efficacité et l’enthousiasme avec lesquels cette transition s’est opérée ont été exemplaires. Ce succès s’explique par la qualité des préparatifs menés à tous les niveaux par l’ensemble des acteurs concernés, sans parler de l’accueil enthousiaste de la part du public. De fait, dans tous les pays, la période de transition a été beaucoup plus courte que prévu. Partager une monnaie unique suppose l’existence d’un sentiment d’appartenance à une communauté et requiert la confiance des utilisateurs de la monnaie. Après tout, une monnaie s’appuie sur la confiance mutuelle de ses utilisateurs. L’aisance relative avec laquelle l’euro fiduciaire a été introduit et accepté par les populations montre que ce sentiment est peut-être plus fort en Europe que d’aucuns ne l’avaient imaginé.

En troisième lieu, une autre réalisation importante de l’euro, qui est parfois largement sous-estimée, a trait à la convergence des taux d’intérêt de marché à long terme vers les bas niveaux qui prévalaient dans les pays bénéficiant de la plus grande crédibilité. Le cadre de politique macroéconomique axé sur la stabilité des prix et des politiques budgétaires saines a permis de réduire sensiblement les coûts de financement dans la plupart des pays. Aujourd’hui, l’économie européenne bénéficie de taux d’intérêt de marché à long terme significativement inférieurs à 4 %, un niveau jamais vu par la plupart des émetteurs au cours des cinquante dernières années. Cette réduction des primes de risque et la stabilisation des anticipations d’inflation à de faibles niveaux sont des réalisations remarquables que la politique économique, dans sa conception actuelle et future, doit préserver.

En quatrième lieu, l’euro a permis d’améliorer la résistance face aux crises affectant les marchés de capitaux. Pour ceux qui ont connu les périodes successives de volatilité des cours de change et des taux d’intérêt entre les années 1970 et le milieu des années 1990, il est clair que, sans la monnaie unique, les événements observés ces dernières années – je citerai la crise financière de l’automne 1998, les turbulences qui ont suivi les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ou les larges fluctuations sur les marchés de changes – auraient engendré des perturbations majeures dans de nombreux pays européens.

Enfin, je voudrais mentionner la politique monétaire unique, qui a préservé, de manière transparente, la stabilité des prix et la crédibilité. La Banque centrale européenne, dont le mandat clairement défini par le Traité consiste à assurer et maintenir la stabilité des prix, en toute indépendance, met en oeuvre, conjointement avec les banques centrales nationales des pays de la zone euro, la politique monétaire unique depuis 1999. Comme vous le savez, la BCE définit la stabilité des prix comme un taux d’inflation inférieur à, mais proche de 2 %, à moyen terme. Si l’on considère la période depuis l’introduction de l’euro, le taux d’inflation n’a pas toujours été conforme avec lóbjectif retenu de stabilité des prix, en raison de chocs exceptionnels tels que la hausse des cours du pétrole enregistrée ces dernières années. Toutefois, ces chocs n’ont pas compromis la crédibilité de notre engagement à assurer la stabilité des prix à moyen terme et n’ont pas provoqué, par conséquent, un dérapage des anticipations d’inflation. Cette évolution s’explique par l’orientation à moyen terme de la politique monétaire, qui vise à fournir un point d’ancrage stable aux agents économiques. De fait, la politique monétaire apporte une contribution optimale à la croissance économique lorsque l’inflation et les anticipations d’inflation sont solidement ancrées à des niveaux compatibles avec la stabilité des prix. L’un des moyens de vérifier dans quelle mesure nous réussissons à fournir ce point d’ancrage à long terme consiste à analyser les anticipations d’inflation à long terme des marchés. Considérées globalement, que les anticipations soient dérivées des données de marchés ou issues des enquêtes, les informations attestent que nous avons réussi à stabiliser les anticipations d’inflation au-dessous de 2 %. Mais au vu de ces indicateurs, nous devons également demeurer vigilants face aux risques à la hausse pesant sur la stabilité des prix à moyen terme.

Comprendre comment une banque centrale réagit aux données et aux indicateurs est capital pour l’ancrage des anticipations d’inflation et pour la crédibilité de la politique monétaire. À mon avis, l’efficacité globale de la politique monétaire de la BCE reflète également le bilan favorable en matière de transparence et de communication. En tant qu’institution publique chargée de fournir un « bien public » et dotée d’une totale indépendance, nous sommes responsables vis-à-vis des citoyens européens. En conséquence, notre tâche consiste pour une large part à expliquer nos décisions et nos objectifs au public. Dès la création de la BCE, le Conseil des gouverneurs a décidé de communiquer régulièrement son analyse de la situation économique et des risques pour la stabilité des prix d’une manière nouvelle et exceptionnellement transparente. Les décisions de politique monétaire sont expliquées lors de la conférence de presse qui se tient immédiatement après la première réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs. La BCE a été la première grande banque centrale à adopter un tel concept de transparence, et son exemple a été suivi par d’autres grandes banques centrales. Des explications supplémentaires concernant notre politique monétaire sont fournies dans le Bulletin mensuel de la BCE, dans le cadre des interventions des membres du Conseil des gouverneurs et lors des auditions du Président de la BCE devant le Parlement européen.

Les défis

Permettez-moi à présent d’évoquer deux des défis majeurs auxquels nous devons faire face actuellement et qu’il convient de relever si nous voulons tirer pleinement profit de l’euro. Un double enjeu donc : élever le niveau de la croissance économique potentielle et assurer l’élargissement de la zone euro.

Commencons par le premier défi, qui a trait à la nécessité de favoriser une croissance économique durable. Nous savons tous que les résultats en matière de croissance obtenus ces dernières années par un certain nombre de pays de la zone euro ont été décevants, tant dans une perspective historique qu’en comparaison internationale. C’est aussi le constat que nous faisons depuis le lancement de l’euro, et ce en dépit de l’amélioration des conditions de financement que j’ai évoquée précédemment. Cette situation s’explique par des facteurs internationaux et internes : l’économie mondiale connaît des mutations rapides, la concurrence étrangère s’est intensifiée, les transferts de connaissance sont devenus plus faciles et la capacité d’adaptation au nouvel environnement économique revêt une importance croissante. De nombreux pays européens n’ont pas adapté assez rapidement leurs cadres économique, social et juridique – mis en place dans des circonstances très différentes – pour pouvoir répondre à ces défis. Parallèlement, la pyramide des âges en Europe connaît une évolution de plus en plus défavorable. Face à ce défi, les choix sont limités : nous devons adapter nos cadres réglementaires sur les marchés de biens, du travail et des capitaux de manière à préserver la compétitivité des entreprises et le dynamisme de l’activité. Certains pays de la zone euro, qui ont réussi à maintenir une croissance élevée de la production et de l’emploi, apportent la preuve que de tels changements sont possibles non seulement hors d’Europe, mais aussi sur notre continent.

Au niveau de l’Union européenne, le programme de Lisbonne constitue le principal moteur dans ce domaine. Il tend à promouvoir l’économie de la connaissance et, par là, la productivité, à accroître le taux d’activité et à favoriser l’intégration financière. Le rapport présenté récemment par le groupe de haut niveau, présidé par M. Wim Kok, contient une évaluation de la stratégie de Lisbonne et fait état de « résultats décevants » en ce qui concerne la concrétisation des mesures convenues. Le rapport souligne qu’il est urgent d’insuffler un nouvel élan, de renforcer l’engagement politique au niveau national et de recentrer la stratégie de Lisbonne sur l’accélération de la croissance de la productivité et de l’emploi. En outre, il considère qu’il est essentiel de définir des indicateurs comparatifs (‘bench-marking’ en anglais). La BCE se félicite de ces propositions, car elles sont conformes à ses propres vues. De fait, l’innovation, l’amélioration de la productivité et la croissance de l’emploi sont cruciales pour notre réussite future et toutes les initiatives doivent tendre vers la réalisation de ces objectifs.

Je voudrais évoquer plusieurs domaines dans lesquels il est urgent d’accomplir des réformes. La plupart des observateurs s’accordent sur le fait que la poursuite des réformes sur le marché du travail est essentielle dans nombre de pays de la zone euro afin d’améliorer les mesures d’incitation au travail ainsi que la qualité et la flexibilité de l’offre de main-d’oeuvre. Dans de nombreux pays, l’ensemble des régimes de prélèvements obligatoires et de prestations sociales actuellement en vigueur continuent d’avoir un effet dissuasif sur l’acceptation d’un travail ou la propension à travailler plus longtemps. Il serait certainement utile que des mesures permettent une meilleure différenciation des salaires en fonction des écarts de productivité sectoriels et géographiques. En outre, il convient de soutenir les efforts entrepris par les pouvoirs publics en vue d’élever les niveaux de qualification à travers une amélioration des systèmes d’éducation et de formation. Au cours des années 1990, des progrès importants ont été accomplis sur les marchés de biens, leurs effets sur la productivité, les prix et l’emploi ayant été très sensibles. Ces résultats doivent encourager les États membres à intensifier leurs efforts pour mettre en œuvre intégralement le Marché unique et démanteler les barrières réglementaires à l’entrée sur les marchés, qui continuent d’entraver la concurrence. Notamment dans le secteur des services, où les créations d’emplois sont les plus nombreuses, il subsiste parfois des réglementations excessives. En dernier lieu, j’estime qu’il est possible de poursuivre l’intégration des marchés de capitaux de la zone euro, plus particulièrement des marchés boursiers, les efforts visant à harmoniser les cadres juridiques et réglementaires ainsi que le mouvement de consolidation dans le secteur bancaire. Non seulement ces réformes stimuleraient la croissance économique potentielle, mais elles renforceraient également la flexibilité des économies, accroissant ainsi leur résistance aux chocs. Cette évolution, à son tour, faciliterait la mise en œuvre de politiques macroéconomiques axées sur la stabilité.

Penchons-nous à présent sur le deuxième défi majeur qui s’ouvre à nous, celui de l’élargissement de la zone euro. L’élargissement historique de l’Union européenne, qui a accueilli dix nouveaux pays le 1er mai 2004, ne constitue qu’une première étape dans le processus d’intégration économique et monétaire des nouveaux États membres. Aucun d’entre eux ne bénéficie d’un statut particulier en ce qui concerne l’introduction de l’euro, ce qui signifie qu’ils doivent tous s’efforcer de remplir les critères de convergence préalablement à l’adoption de l’euro.

L’entrée dans le mécanisme de change II (MCE II) constitue une étape importante de ce processus. Afin de satisfaire au critère relatif au taux de change, les nouveaux États membres doivent participer au MCE II pendant une période de deux ans au moins. Bien qu’il n’existe aucun critère formel à remplir pour intégrer le mécanisme, une participation réussie bénéficierait des ajustements préalables importants des politiques macroéconomiques, par exemple en matière d’assainissement budgétaire et de libéralisation des prix. Dans le cas contraire, le taux de change pourrait être soumis à des pressions importantes susceptibles de compromettre le processus de convergence. Après que les indispensables ajustements structurels auront été réalisés, la participation au MCE II peut être un moyen privilégié d’ancrer les anticipations d’inflation et de change et de promouvoir la discipline. Elle peut contribuer à axer les politiques macroéconomiques sur la stabilité, tout en ménageant le degré de flexibilité nécessaire en cas de besoin, grâce à la marge de fluctuation standard et la possibilité de réajuster le cours pivot. Cette période de participation au MCE II peut également permettre de dresser un bilan réaliste de la capacité des Etats membres à respecter les obligations imposées par l’union monétaire, au sein de laquelle le taux de change ne pourra plus être utilisé pour s’adapter à l’évolution de la situation économique.

Préalablement à l’adoption de l’euro, il convient de remplir durablement tous les critères de convergence, lesquels concernent, outre l’évolution du taux de change, le déficit et la dette publics, l’inflation et les taux d’intérêt à long terme ainsi que la convergence juridique. Un pays ne satisfera aux conditions requises pour l’adoption de l’euro que lorsqu’il aura rempli durablement tous les critères de convergence. Dans la mesure où il s’agit d’une décision irréversible, l’adhésion à la zone euro constitue une étape très importante nécessitant une préparation minutieuse. Pour chaque pays, l’évaluation sera fondée sur ses propres mérites et tiendra compte de sa situation particulière. La durée de ce processus dépendra largement de la situation de départ du pays concerné, des changements structurels et des progrès en matière d’intégration restant à réaliser et du degré de réussite avec lequel il maintiendra une politique économique équilibrée. Tout en étant essentiels pour le bon fonctionnement de l’Union monétaire, les critères définis pour la mise en œuvre d’une politique macroéconomique saine et soutenable s’imposent également d’un point de vue économique dans chaque pays, avant comme après l’adhésion à la zone euro. En définitive, je suis convaincu que l’élargissement de l’Union européenne et de la zone euro sera bénéfique pour la croissance économique et le bien-être de l’Union dans son ensemble.

Conclusions

J’aimerais conclure mon intervention en réaffirmant ma conviction que l’Union économique et monétaire a enregistré de notables succès en très peu de temps : introduction d’une nouvelle monnaie pour plus de 300 millions d’Européens, maintien de la stabilité des prix, préservation de bas niveaux de taux d’intérêt de marché et promotion de l’intégration financière. Ces succès, qui sont aussi des conditions indispensables à une croissance économique durable et au développement de l’emploi, doivent toutefois être complétés par de nouvelles avancées dans d’autres secteurs de l’économie. Je voudrais mentionner en particulier la mise en œuvre de réformes structurelles. Pour profiter pleinement des avantages de l’UEM et faire face aux pressions concurrentielles internationales, il convient de mettre en place un environnement économique réellement dynamique. Les chantiers ont été identifiés et des solutions ont été élaborées, en particulier dans le programme de Lisbonne. À présent, le défi consiste à mettre en œuvre ces engagements. Les nouveaux États membres apporteront sans nul doute des contributions constructives à cet effort, tirant profit de leurs expériences acquises récemment lors de la restructuration de leur économie pour l’adapter au cadre de l’Union européenne.

Dans une certaine mesure, tout changement et tout nouveau défi suscitent certaines craintes et certaines réserves – qui s’expliquent sans doute simplement par le fait que les êtres humains ont généralement peur de l’inconnu. Nous savons ce que nous avons, mais nous ne savons pas ce que nous aurons, et cela nous empêche d’agir. Ces réserves sont compréhensibles, mais le succès de l’euro en lui-même démontre qu’une vision, l’esprit d’initiative, des capacités techniques et des efforts de préparation peuvent être mobilisés conjointement pour inspirer un élan enthousiaste et relever de grands défis. Bien que l’euro soit encore une jeune monnaie, il s’appuie sur la sagesse accumulée des monnaies nationales qu’il a remplacées. Cette combinaison de la jeunesse et de l’expérience est unique.

Je vous remercie de votre attention.

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