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La stratégie de politique monétaire de l'Eurosystème: un bilan après la première année

Intervention de M. Willem F. Duisenberg, Président de la Banque centrale européenne, à l'occasion des Congrès conjoints des Fédérations européennes EUROFINAS et LEASEUROPE, à Paris, le 11 octobre 1999

Il y a presque un an, jour pour jour, le 13 octobre 1998, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé les principaux éléments de sa stratégie de politique monétaire axée sur la stabilité. A l'occasion du premier anniversaire de cette annonce, il est, semble-t-il, opportun de dresser un bilan pour l'année qui vient de s'écouler et de tirer les premiers enseignements de l'expérience acquise durant cette période. Aussi je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de faire le point aujourd'hui..

Permettez-moi tout d'abord d'expliquer certains termes qui ne vous sont peut-être pas encore familiers. L'« Eurosystème » est le terme que nous utilisons pour désigner l'ensemble constitué par la Banque centrale européenne et les onze banques centrales nationales des pays qui ont introduit l'euro le 1er janvier 1999. Nous appelons « zone euro » la zone géographique englobant ces onze pays. La politique monétaire mise en œuvre par l'Eurosystème est parfois appelée « politique monétaire unique ».

Pour concevoir la stratégie de politique monétaire de l'Eurosystème, il a été nécessaire de considérer avec attention l'environnement dans lequel l'Eurosystème opère. Cet environnement impose certaines contraintes à la politique monétaire unique. Il convient de distinguer trois catégories de contraintes : les contraintes économiques, institutionnelles et pratiques. En premier lieu, l'Eurosystème doit reconnaître les capacités et les limites de la politique monétaire qui découlent à la fois de principes économiques généraux et de la structure de l'économie de la zone euro. En deuxième lieu, l'Eurosystème doit agir conformément au mandat, aux missions et aux pouvoirs que lui a conféré le traité instituant la Communauté européenne. En dernier lieu, la stratégie de politique monétaire de l'Eurosystème doit être le reflet des contraintes qui se posent sur le plan pratique, essentiellement en raison des incertitudes créées par le changement de régime lié au passage à l'Union monétaire.

Je voudrais évoquer l'un après l'autre les différents types de contraintes, en commençant par les questions économiques générales. Dans leur grande majorité, les banquiers centraux et les économistes s'accordent sur le fait qu'il n'existe pas d'arbitrage à long terme entre l'activité réelle et l'inflation. Tenter d'utiliser la politique monétaire pour obtenir une accélération de l'activité réelle au-delà du niveau soutenable ne fera qu'engendrer, à la longue, une augmentation continue de l'inflation, au lieu d'entraîner une accélération de la croissance économique. La meilleure contribution que la politique monétaire peut apporter à une croissance soutenable et à un développement de l'emploi dans la zone euro consiste à maintenir la stabilité des prix d'une manière crédible et durable, permettant de profiter des avantages considérables procurés par la stabilité des prix.

Lorsque la stabilité des prix existe à moyen terme, les signaux envoyés par les prix relatifs, sur lesquels repose le fonctionnement du mécanisme du marché, ne sont pas brouillés par les modifications du niveau général des prix. Dès lors, le marché peut affecter plus efficacement aux emplois les plus productifs des ressources limitées. On évite aussi dans ce cas les coûts que l'inflation ferait sinon supporter en accentuant les distorsions dans les systèmes fiscaux et de protection sociale. La prime de risque créée par l'inflation étant réduite, les taux d'intérêt réels à long terme baissent, ce qui améliore les conditions de financement des investissements. Par ce biais, et aussi par d'autres canaux, l'environnement actuel de stabilité des prix contribue à améliorer le potentiel de la zone euro en matière de croissance et d'emploi.

Cette discussion éclaire ce qui est certainement le plus grand défi économique auquel la zone euro doit faire face à l'heure actuelle, à savoir la nécessité de réduire le niveau inacceptable du chômage. Il existe un large consensus sur le fait que le chômage dans la zone euro est essentiellement de nature structurelle. La politique monétaire ne peut résoudre ce problème, même si elle peut certainement apporter sa contribution à sa résolution en maintenant un environnement de stabilité des prix. Le niveau du chômage structurel dépend de la flexibilité et de l'efficacité des marchés du travail et des biens, et non pas de l'orientation de la politique monétaire.

C'est aux gouvernements nationaux qu'incombe essentiellement la responsabilité d'entreprendre les réformes économiques structurelles visant à accroître la flexibilité du marché et à améliorer l'allocation des ressources. La modération salariale peut, elle aussi, avoir des effets bénéfiques importants. La BCE continuera à déployer des efforts en vue de persuader les gouvernements de mettre en œuvre les réformes structurelles nécessaires. Mais c'est en fin de compte aux autorités nationales de prendre les décisions - qu'il est difficile de prendre, je l'admets, car les avantages considérables que présentent les réformes structurelles ne se concrétisent qu'au bout d'un certain temps.

Le succès des réformes structurelles accomplies dans le passé est néanmoins déjà visible au sein de l'Union européenne. Dans les pays qui ont mis en œuvre des réformes structurelles appropriées et où les augmentations de salaires ont été modérées, le niveau du chômage est bas par comparaison avec les autres pays de la zone euro ou diminue assez rapidement. Leurs partenaires de la zone euro peuvent tirer un grand profit de ces expériences.

Le cadre institutionnelde la politique monétaire européenne créé par le traité instituant la Communauté européenne reflète ces réalités économiques. En tout premier lieu, le Traité assigne clairement à la politique monétaire unique l'objectif principal du maintien de la stabilité des prix dans la zone euro. Pour faciliter la réalisation de cet objectif, la BCE et les banques centrales nationales ainsi que leurs organes de décision se sont vu accorder un degré élevé d'indépendance institutionnelle afin de protéger les décisions de politique monétaire de toute interférence extérieure.

Le mandat de maintien de la stabilité des prix ne doit pas être considéré isolément. Le Traité assigne d'autres devoirs et missions à la BCE. Il est cependant indéniable que l'objectif principal de stabilité des prix revêt une importance primordiale. J'en veux pour preuve que le Traité stipule - dans son article 105 - que l'Eurosystème, « sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, ... apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté ». Parmi ces objectifs, on peut citer notamment « une croissance durable et non-inflationniste » et « un niveau d'emploi élevé ». La condition restrictive exprimée par le terme « sans préjudice » indique sans ambiguïté que la stabilité des prix est l'objectif primordial de l'Eurosystème et ne laisse aucun doute quant à l'importance de la politique monétaire unique.

Le Traité précise également que la stabilité des prix est l'objectif prioritaire de la politique de change (article 3). Il s'agit là d'un élément important qui aidera la BCE a accomplir son mandat. La politique monétaire et la politique de change peuvent être considérées à de nombreux égards comme les deux faces de la même médaille. Un autre objectif assigné à la politique de change n'aurait pas été compatible avec l'engagement prioritaire de maintenir la stabilité des prix, que le Traité a assigné à la politique monétaire.

En dernier lieu, je voudrais évoquer quelques questions d'ordre pratique liées au passage à l'Union monétaire. En concevant la stratégie de l'Eurosystème, le Conseil des gouverneurs de la BCE a pris en compte les nouvelles circonstances auxquelles la politique monétaire doit faire face dans la zone euro. Alors que précédemment il existait onze économies ouvertes, de petite taille pour la plupart, nous avons maintenant une zone à monnaie unique qui est grande et relativement fermée. Les défis à relever du fait de cette mutation du paysage monétaire sont considérables.

Etant donné que la zone euro n'existait pas en tant que zone à monnaie unique avant janvier 1999, la nécessité de constituer un ensemble de données statistiques a représenté un problème manifeste. Un travail important a été accompli dans ce sens, notamment dans les domaines des statistiques monétaires et bancaires et des statistiques de la balance des paiements. Néanmoins, par rapport à la situation que les banques centrales nationales ont connue dans le passé, nous n'avons actuellement pas toujours à notre disposition les longues séries chronologiques d'indicateurs économiques, établies sur la base de concepts statistiques harmonisés, qui sont nécessaires pour effectuer des analyses approfondies. Cependant, la qualité et la disponibilité des statistiques dont nous disposons actuellement pour la zone euro se sont sensiblement accrues au cours des derniers trimestres. Le processus d'amélioration de la qualité et de la disponibilité des données statistiques couvrant la zone euro se poursuivra.

Ces contraintes d'ordre économique, institutionnel et pratique ont été des éléments moteurs dans la conception spécifique de la stratégie de politique monétaire axée sur la stabilité. Cette stratégie est destinée à remplir deux rôles importants. En premier lieu, elle impose une structure au processus d'élaboration de la politique monétaire de sorte que le Conseil des gouverneurs de la BCE, l'instance de décision dans la conduite de la politique monétaire, dispose de toutes les informations et analyses dont il a besoin pour prendre les décisions appropriées. En second lieu, la stratégie garantit que ces décisions, et notamment le raisonnement économique qui les sous-tend, peuvent être présentées au public de manière claire et cohérente. En procurant un cadre stable pour la prise des décisions de politique monétaire et leur explication, la stratégie renforce la crédibilité et l'efficacité de la politique monétaire unique.

Compte tenu des contraintes d'ordre pratique que je viens d'évoquer, il est clair qu'il serait imprudent pour la BCE, à ce stade peu avancé, de se fier mécaniquement aux signaux émanant d'un seul indicateur ou d'une seule prévision pour prendre les décisions de politique monétaire. En fait, une approche aussi simpliste pour l'élaboration de la politique monétaire est risquée en toutes circonstances. Notre connaissance de la structure de l'économie de la zone euro et les propriétés d'indicateur de certaines variables - bien qu'elles s'améliorent rapidement - sont simplement insuffisantes. A ce titre, il convient de reconnaître que l'introduction de l'euro constitue un changement structurel majeur. Un changement de cette importance est susceptible d'avoir une incidence sur le comportement des agents économiques, et d'avoir par conséquent des répercussions sur les relations macro-économiques. Ces répercussions potentielles concernent aussi bien la monnaie que les autres variables macro-économiques.

Par conséquent, la stratégie de politique monétaire choisie par le Conseil des gouverneurs correspond à une approche différente et plus solide, articulée autour de trois éléments principaux annoncés il y un an.

Premièrement, l'objectif principal de la politique monétaire a été quantifié avec la publication d'une définition de la stabilité des prix, qui fournit un point d'ancrage aux anticipations d'inflation et un cadre de référence à l'aune duquel la responsabilité de l'Eurosystème peut être établie. Cette définition illustre notre aversion à la fois pour l'inflation et la déflation, dans la mesure où la stabilité des prix est définie comme une progression sur un an de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) inférieure à 2 % dans la zone euro. En outre, il a été annoncé que la stabilité des prix doit être maintenue à moyen terme, conférant une orientation à moyen terme à l'ensemble de la stratégie.

Deuxièmement, afin de maintenir la stabilité des prix conformément à cette définition, les évolutions monétaires font l'objet d'un suivi attentif en fonction d'une valeur de référence quantifiée pour la croissance monétaire. La première valeur de référence pour l'agrégat monétaire large M3 a été fixée à 4½% de croissance annuelle. Conformément à l'orientation à moyen terme de la stratégie, cette valeur de référence a été calculée de manière à être compatible avec le maintien de la stabilité des prix à moyen terme, en se fondant sur des hypothèses relatives à l'évolution à moyen terme du PIB réel et à la vitesse de circulation de la monnaie.

Troisièmement, parallèlement à cette analyse monétaire, il est procédé à une évaluation, reposant sur une large gamme d'indicateurs, des perspectives d'évolution des prix dans la zone euro. Les indicateurs sur lesquels cette évaluation repose comprennent les prévisions en matière d'inflation établies à l'intérieur et à l'extérieur de l'Eurosystème.

Grâce aux informations fournies par cette analyse, le Conseil des gouverneurs évalue tous les quinze jours le niveau des taux d'intérêt à court terme qui sert le mieux le maintien de la stabilité des prix à moyen terme. Compte tenu de cette stratégie, je suis convaincu que le Conseil des gouverneurs a pris jusqu'ici - et continuera à prendre - les décisions de politique monétaire nécessaires pour maintenir la stabilité des prix sur le moyen terme.

J'estime que cette conviction est fondée. Notre stratégie a été généralement bien accueillie par le public, et la réaction des marchés de capitaux a été favorable. Néanmoins, je n'ignore pas que la stratégie de l'Eurosystème a fait l'objet de critiques. Un an après l'annonce de notre stratégie, il convient, semble-t-il, de répondre à certaines critiques.

Certains observateurs ont critiqué la stratégie, faisant valoir qu'elle était « asymétrique ». En d'autres termes, ils soutiennent que l'Eurosystème se préoccupe davantage de l'inflation que de la déflation. Ils estiment que cette asymétrie pèsera sur les performances économiques globales de l'ensemble de la zone euro, car la politique monétaire sera, en moyenne, trop restrictive, et risque dans certaines circonstances de déclencher une spirale déflationniste préjudiciable. Ces assertions sont fréquemment fondées sur la perception de l'absence de limite inférieure quantitative dans la définition de la stabilité des prix, contrastant avec une limite supérieure clairement établie à 2%.

J'estime que cette critique est dénuée de fondement. L'emploi du terme "progression" dans la définition impose un plancher à zéro pour la limite inférieure. L'absence de chiffre spécifique pour la limite inférieure traduit sans équivoque les incertitudes auxquelles nous sommes confrontés, notamment en ce qui concerne l'existence et la portée d'un « biais de mesure » dans l'IPCH. Actuellement, il n'existe pas d'indications fiables sur la taille de ce biais, ce qui est notamment dû au fait que la qualité des biens s'améliore avec le temps et que la composition du panier de biens sous-jacent de l'IPCH ne fait pas l'objet d'ajustements immédiats en vue de refléter les modifications de la structure des dépenses causées par les fluctuations des prix relatifs des divers produits. Dans ce climat d'incertitude, il aurait été arbitraire d'annoncer un chiffre précis pour la limite inférieure. Compte tenu de l'existence d'un biais de mesure potentiel, nous estimons qu'il est préférable de nous montrer plus préoccupés lorsque les perspectives d'évolution des prix se rapprochent de zéro, sans pour autant limiter notre préoccupation à un chiffre précis.

Quand bien même le biais de mesure comporte des incertitudes et ne nous permet pas de préciser une limite inférieure exacte de la définition de la stabilité des prix, je me dois de souligner que le plafond fixé par cette définition est nettement supérieur à toutes les estimations plausibles de ce biais de mesure. Ce phénomène prouve indéniablement que nous ne sommes en aucun cas asymétriques en ce sens que nous serions plus préoccupés par l'inflation que par la déflation.

Ces questions sont principalement d'ordre technique. Permettez-moi d'affirmer de la manière la plus formelle, ainsi que je l'ai déjà souvent fait par le passé, que le Conseil des gouverneurs estimerait qu'une inflation prolongée comme une déflation prolongée dans la zone euro seraient également incompatibles avec le maintien de la stabilité des prix. Ce faisant, il me semble difficile d'affirmer plus clairement notre engagement à respecter la symétrie de notre stratégie. Notre décision d'abaisser les taux d'intérêt en avril 1999 afin de contrecarrer les risques de baisse des prix apparus au cours du premier trimestre a démontré clairement et de manière concrète la valeur de cet engagement.

D'autres critiques portent sur le « rôle de premier plan assigné à la monnaie » dans notre stratégie, qui se traduit par l'annonce d'une valeur de référence pour la croissance de M3 et par notre analyse approfondie des agrégats monétaires. Ces critiques soutiennent que la croissance de M3 ne devrait ni jouer un rôle de premier plan dans notre stratégie, ni peser de manière significative sur les décisions de politique monétaire.

Je suis en désaccord avec ces critiques du rôle de la monnaie dans notre stratégie. Il est certain que les agrégats monétaires de la zone euro présentent des rapports étroits avec l'inflation. Le mois dernier, la BCE a publié une étude empirique qui démontre que M3 entretient une relation stable avec le niveau des prix dans la zone euro à moyen terme. Aucun autre indicateur non monétaire considéré isolément n'entretient de relation aussi stable avec les évolutions des prix à un tel horizon. Il est donc indispensable que la croissance monétaire soit suivie de très près par le Conseil des gouverneurs, et nous estimons que les évolutions monétaires constituent un instrument de mesure inappréciable pour les décisions de politique monétaire visant la stabilité des prix à moyen terme.

Toutefois, chacun sait que la relation à court terme entre la monnaie et les prix est plus complexe. En conséquence, la politique monétaire ne peut réagir mécaniquement à chaque écart de la croissance monétaire réelle par rapport à la valeur de référence. De même, il n'incombe pas aux responsables de la politique monétaire de maintenir la croissance monétaire à un niveau proche de la valeur de référence à un moment donné. La valeur de référence n'est pas un objectif - les décisions en matière de taux d'intérêt n'ont pas pour objet de ramener la croissance de M3 à 4½% à court terme. Plus précisément, ce sont les écarts de la croissance monétaire par rapport à la valeur de référence qu'il convient d'analyser avec précaution, parallèlement à une évaluation approfondie d'autres indicateurs. Les implications de tels écarts en termes d'évolutions des prix à moyen terme doivent être dégagées. La politique monétaire devra alors se fonder sur les informations ainsi obtenues pour maintenir la stabilité des prix dans une perspective de moyen terme.

Nos décisions en matière de taux d'intérêt, notre analyse interne des évolutions monétaires et notre présentation des évolutions monétaires au public sont toutes compatibles avec cette explication du rôle de la valeur de référence dans la stratégie globale de politique monétaire. J'ajouterai seulement - ainsi que je l'ai déjà fait à plusieurs occasions dans le passé - qu'actuellement, notre interprétation des évolutions monétaires est encore compliquée par les incertitudes concernant les données auxquelles j'ai fait allusion auparavant. Néanmoins, j'aimerais saisir cette occasion pour vous rappeler que les incertitudes liées aux données d'ordre monétaire ne sont pas plus élevées que celles qui concernent d'autres variables économiques.

A cet égard, il est intéressant de constater que la BCE a même été critiquée par des observateurs qui lui reprochaient au contraire de ne pas accorder suffisamment d'attention à la monnaie !

On a également reproché à l'Eurosystème de faire preuve d'une réserve excessive, incompatible avec les critères de transparence et de clarté requis pour la conduite de sa politique monétaire. Certains critiquent notre stratégie, qu'ils estiment n'être pas assez simple, en avançant que nous devrions nous concentrer sur un seul indicateur, qu'il s'agisse de la monnaie ou d'une prévision d'inflation. A ces critiques, je peux répondre que notre stratégie est honnête. Elle reflète l'environnement complexe dans lequel nous vivons, un environnement dans lequel les décisions de politique monétaire ne peuvent pas être liées à une seule variable d'information.

D'autres soutiennent que nous ne publions pas assez d'informations sur notre analyse. Les auteurs de cette critique affirment que la crédibilité de la politique monétaire unique a souffert de cette réserve. J'admets pour ma part que l'efficacité de l'Eurosystème dépendra dans une large mesure de la crédibilité de la politique monétaire unique. La conduite d'une politique monétaire dans des conditions de transparence et de responsabilité peut contribuer à établir une bonne réputation et, par conséquent, à renforcer la crédibilité. Par ailleurs, la transparence et la responsabilité reposent sur une communication claire et efficace entre l'Eurosystème et le public.

A cet égard, l'Eurosystème doit s'acquitter d'une tâche colossale. Pour chacune de ses déclarations et pour le Bulletin mensuel, il doit s'adresser à onze publics différents dans toutes les langues officielles de l'Union européenne. Une telle situation est sans précédent. En outre, chacun des pays de la zone euro a sa propre histoire et sa propre culture monétaire. Cette diversité linguistique, historique et culturelle au sein de la zone euro représente un nouveau défi en matière de communication pour la BCE..

Contrairement à ce qu'affirment les auteurs de ces critiques, nous estimons que nous nous sommes montrés à la hauteur de ce défi. La conférence de presse que le vice-président de la BCE et moi-même donnons généralement après la première réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs représente un élément clé de la politique de communication de l'Eurosystème. Lors de ces conférences de presse, je fais une déclaration préliminaire résumant les discussions et les conclusions du Conseil avant de répondre aux questions des journalistes. En substance, cette déclaration est semblable à ce que d'autres banques centrales appellent des « minutes ». A ma connaissance, aucune autre banque centrale ne s'adresse au public de manière aussi rapide et ouverte après ses réunions de politique monétaire. Le principe de ces conférences de presse données immédiatement après les réunions du Conseil des gouverneurs garantit également une diffusion rapide et équitable des décisions et des informations dans l'ensemble de la zone euro.

Ces conférences de presse sont l'expression tangible de l'engagement de l'Eurosystème à se montrer ouvert, transparent et responsable dans la conduite de sa politique monétaire. Elles sont complétées par nos interventions devant le Parlement européen, notre Bulletin mensuel, notre Rapport annuel, notre collection de documents de travail et nos nombreux discours et présentations parmi lesquels figure mon intervention d'aujourd'hui. A mon avis, la volonté d'ouverture de l'Eurosystème ne saurait être mise en doute.

Recourant à un autre argument, les observateurs critiques de l'Eurosystème ont soutenu que la politique monétaire unique avait porté trop exclusivement sur les fluctuations cycliques, contrairement à l'engagement officiel d'adopter une orientation de moyen terme. Ces critiques s'appuient sur l'affirmation selon laquelle la baisse des taux d'intérêt décidée en avril 1999 visait à soutenir l'emploi et les perspectives de croissance à court terme.

Permettez-moi de m'exprimer sans équivoque sur cette question. La politique monétaire unique a toujours eu, et continuera d'avoir une orientation appropriée tournée vers le moyen terme, qui est conforme à la stratégie que j'ai exposée il y a un instant. A cet égard, la politique monétaire doit toujours s'attacher essentiellement à maintenir la stabilité des prix à moyen terme. En avril 1999 sont apparus des risques à la baisse menaçant la stabilité des prix, engendrés par le ralentissement conjoncturel qui s'est amorcé dans le sillage des perturbations financières observées dans les pays émergents au milieu de l'année 1998. Ces risques à la baisse ont rendu nécessaire l'intervention du Conseil des gouverneurs. Les taux d'intérêt ont été abaissés. L'accent mis sur l'objectif prioritaire de la stabilité des prix qui a motivé cette décision n'exclut pas pour autant que, dans la mesure où les risques qui menacent la stabilité des prix sont très fréquemment liés à des fluctuations cycliques, les mesures nécessaires au maintien de la stabilité des prix puissent également dans de nombreux cas permettre de soutenir l'activité réelle. La décision du Conseil des gouverneurs de baisser les taux d'intérêt en avril 1999 a indéniablement contribué à entretenir la confiance et, par là , l'activité économique réelle à court terme. Néanmoins, cette décision a été prise afin de garantir le maintien de la stabilité des prix à moyen terme.

Bien entendu, les banquiers centraux accueillent favorablement, ainsi qu'ils le doivent, toute occasion de contribuer au soutien de l'économie réelle et de l'emploi - quand bien même le soutien qu'ils apportent n'est que temporaire. Toutefois, nous ne devons pas susciter la croyance selon laquelle de nécessaires mesures de politique monétaire auraient toujours un impact positif à court terme sur l'activité réelle. Il y aura certainement des situations dans lesquelles la politique monétaire devra arbitrer à court terme entre des évolutions défavorables de l'activité réelle d'une part, et des écarts par rapport à la stabilité des prix d'autre part. Dans ce type de situation, il convient de préciser sans équivoque que la priorité doit impérativement être accordée au maintien de la stabilité des prix. L'existence de la moindre ambiguïté sur ce point ne fera que compromettre la crédibilité et, par conséquent, l'efficacité de la mesure de politique monétaire adoptée.

Cette question nous amène naturellement à nous demander si l'Eurosystème conduit actuellement - et doit conduire à l'avenir - une politique monétaire « activiste », consistant à modifier fréquemment les taux d'intérêt en réaction aux « nouvelles » fournies par les publications de données récentes. Nous adoptons une perspective de moyen terme et, contrairement à d'autres banques centrales nationales, nous ne disposons pas d'une cible ponctuelle pour les taux d'inflation. Par conséquent, nous ne jugeons pas utile de nous montrer excessivement activistes ni de réagir immédiatement à toutes les « nouvelles » qui nous parviennent. La politique monétaire, qui influence l'économie dans des « délais longs et variables », se prête de ce fait particulièrement mal au réglage fin en réponse aux fluctuations cycliques à court terme. Néanmoins, au besoin, nous n'hésiterons pas à intervenir rapidement pour maintenir la stabilité des prix à moyen terme.

Avant de conclure, je souhaiterais aborder brièvement une autre question d'actualité, à savoir les répercussions de l'évolution des prix des actifs sur la détermination de la politique monétaire. Nous pensons que les prix des actifs sont des indicateurs importants pour la conduite de la politique monétaire, mais qu'ils ne doivent pas être considérés comme un objectif en soi. Les prix des actifs sont déterminés en partie par des facteurs économiques réels, qui ne peuvent être affectés par la politique monétaire à moyen terme. Les cours de la Bourse dépendent des profits actuels et anticipés des entreprises. Les prix de l'immobilier dépendent des tendances démographiques actuelles et anticipées, des régimes fiscaux, des plans d'urbanisme, etc. L'Eurosystème ne peut pas mieux que le marché prévoir comment ces facteurs évolueront à l'avenir et savoir par conséquent quel niveau est approprié pour les prix des actifs.

En outre, les tentatives d'une banque centrale pour agir systématiquement sur les prix des actifs risquent d'introduire un « aléa moral » sur les marchés des actifs. Il ne serait pas souhaitable que le public croie que la banque centrale interviendrait pour prévenir des chutes spectaculaires des prix des actifs, ce qui reviendrait à garantir des gains en capital accumulés par les investisseurs. Au contraire, pour assurer un fonctionnement sans heurts des marchés des actifs, il importe que les investisseurs reçoivent des incitations appropriées à évaluer les prix et les risques inhérents aux actifs sous-jacents.

Bien entendu, cela ne signifie pas que les banques centrales ne doivent tenir aucun compte des évolutions des prix des actifs dans leur estimation de la situation économique. La stratégie de politique monétaire de l'Eurosystème comprend un suivi approfondi et attentif de l'évolution des prix des actifs. Ceux-ci sont des indicateurs importants dans la mesure où ils offrent un aperçu des anticipations du secteur privé relatives aux évolutions ultérieures des prix et de la situation économique. Ils ont également des répercussions macro-économiques importantes, notamment sur la richesse, la consommation, la demande de crédit et la robustesse et la stabilité du secteur financier dans la zone euro. Par chacun de ces canaux, les prix des actifs peuvent avoir une incidence sur les perspectives d'évolutions des prix dans la zone euro.

Bien que la BCE ne se soit pas assigné les prix des actifs comme objectif, je me permettrai de souligner que, si la politique monétaire unique parvient à atteindre son objectif prioritaire de telle sorte que la stabilité des prix soit maintenue à moyen terme, on pourrait s'attendre, en l'absence de variation des autres paramètres, à ce que les prix des actifs soient plus stables que dans un autre cas de figure. En fait, la diminution de la volatilité des prix des actifs pourrait être considérée comme l'une des nombreuses retombées bénéfiques du maintien de la stabilité des prix à moyen terme. Néanmoins, au-delà de cette contribution peut-être limitée, la politique monétaire ne peut prévenir des fluctuations potentiellement importantes des prix des actifs. La stabilité des prix des actifs ne constitue pas en soi un objectif de la politique monétaire unique.

Permettez-moi de conclure. Je suis convaincu que nous avons abordé l'Union monétaire avec succès et que la stratégie présentée par le Conseil des gouverneurs il y a douze mois a joué un rôle important dans ce succès. Toutefois, nous devons admettre que la politique monétaire ne peut à elle seule faire face à tous les problèmes économiques auxquels la zone euro est confrontée. Elle n'est notamment pas en mesure de réduire le niveau inacceptable du chômage structurel au sein de la zone euro. Néanmoins, en faisant porter tous ses efforts sur le maintien de la stabilité des prix, la politique monétaire contribue de son mieux à améliorer les perspectives de croissance et d'emploi dans l'ensemble de la zone euro. Au vu du bilan de l'année écoulée, je suis fermement convaincu que la stratégie de politique monétaire adoptée un an auparavant par le Conseil des gouverneurs - ainsi que les décisions de politique monétaire qui ont été prises sur la base de cette stratégie au cours des neuf mois et demi qui viennent de s'écouler - concourront à la réalisation de cet objectif.

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