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L'euro à ses débuts

Christian Noyer, Vice-président de la Banque centrale européenne à l'Assemblée Générale de l'Association du Forex et des Trésoriers de Banque Paris, 24 mars 1999

1. Introduction

Depuis le 1er janvier 1999, l'euro est la monnaie unique de onze pays rassemblant près de 300 millions de personnes. Sur le plan économique, la zone euro a une envergure comparable à celle des Etats-Unis puisque son PIB, environ 5.500 milliards d'euro, représente 15 % du PIB mondial contre 20 % pour les Etats-Unis.

Cette envergure économique explique l'importance de l'euro pour les marchés financiers, aussi bien à l'intérieur de la zone euro qu'à l'extérieur. L'euro est naturellement présent sur chacune des grandes places financières mondiales. Sur les segments monétaire, obligataire et des actions, les marchés financiers de la zone euro sont très actifs et de plus en plus efficients. Une panoplie d'instruments aux caractéristiques variées, correspondant aux divers besoins des investisseurs et des maisons de finance, s'y traitent, ce qui permet en fin de compte d'allouer efficacement les ressources financières dans l'économie.

Dans ce nouveau grand marché financier, l'Eurosystème (c'est-à-dire l'ensemble formé par la BCE et les onze banques centrales nationales de la zone euro) occupe la position de la banque centrale. Son rôle se reflète au travers de la stratégie de politique monétaire et de sa mise en oeuvre, qui font l'objet des deux premières parties de mon intervention. Dans la troisième partie de mon intervention, j'aborderai les évolutions d'ordre structurel qui, indépendamment du rôle joué par l'Eurosystème, se sont produites sur les marchés financiers suite à la mise en place de l'euro. Je terminerai en examinant avec vous les développements conjoncturels récents dans les sphères économique et financière.

2. Stratégie de politique monétaire

Le Traité de Maastricht confie à la BCE la mission d'assurer la stabilité des prix. Celle-ci contribue à un développement économique équilibré et soutenable, à l'amélioration des perspectives en matière d'emploi et à l'élévation du niveau de vie. La stratégie de politique monétaire axée sur la stabilité qui a été retenue par l'Eurosystème a été conçue en vue de l'objectif de stabilité des prix. Elle repose sur trois éléments principaux.

En premier lieu, afin de donner des orientations claires sur lesquelles peuvent se fonder les anticipations sur l'évolution future des prix, le Conseil des gouverneurs a annoncé une définition quantitative de son objectif principal. Définir la stabilité des prix sert également les principes de transparence et de responsabilité. Cette définition précise la manière dont le Conseil des gouverneurs interprète le mandat que lui confère le Traité et donne au public des références précises pour évaluer le succès de la politique monétaire unique.

En conséquence, la stabilité des prix est définie comme une progression sur un an de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) inférieure à 2 % dans la zone euro. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de préciser que la déflation - c'est-à-dire une baisse continue du niveau des prix - ne serait pas compatible avec la stabilité des prix. D'après les données les plus récentes, le taux annuel d'inflation de la zone euro mesuré par l'indice harmonisé est conforme à la définition de la stabilité des prix.

La stabilité des prix doit être maintenue à moyen terme. En effet, la politique monétaire se doit d'adopter une orientation prospective axée sur le moyen terme puisqu'elle ne peut contrôler tous les mouvements à court terme du niveau général des prix.

En vue de maintenir la stabilité des prix conformément à la définition publiée, la stratégie adoptée par le Conseil des gouverneurs repose sur deux piliers. Premièrement, eu égard au fait que l'inflation est d'origine monétaire à long terme, un rôle de premier plan a été assigné à la monnaie. Ce rôle essentiel est souligné par l'annonce d'une valeur de référence quantifiée pour la croissance de l'agrégat monétaire large M 3. La valeur de référence a été fixée à 4½ % par an. La valeur de référence retenue pour M 3 est à la fois compatible avec le maintien de la stabilité des prix à moyen terme et une croissance soutenable de la production.

La politique monétaire ne réagira pas « mécaniquement » aux écarts constatés entre la croissance monétaire et la valeur de référence. En premier lieu, ces écarts feront l'objet d'une analyse approfondie afin d'évaluer l'information qu'ils contiennent en matière de perspectives d'évolution des prix. Si l'écart laisse présager une menace pour la stabilité des prix, la politique monétaire réagira d'une manière appropriée pour y faire face. Dans les autres cas, la politique monétaire n'a pas vocation à chercher à éliminer à court terme l'écart entre la croissance monétaire et la valeur de référence.

Le second pilier de la stratégie de politique monétaire est constitué par une évaluation, reposant sur une large gamme d'indicateurs, des perspectives d'évolution des prix et des risques pour la stabilité des prix dans l'ensemble de la zone euro. Le Conseil des gouverneurs reconnaît qu'il importe, parallèlement à l'analyse de la croissance monétaire par rapport à la valeur de référence, d'étudier un large éventail d'autres indicateurs économiques et financiers, incluant aussi bien des prévisions économiques que divers indicateurs relatifs à l'économie réelle et aux marchés financiers. Cet examen systématique de toutes les informations relatives à la situation économique et financière permet au Conseil des gouverneurs de disposer de l'ensemble des éléments nécessaires pour prendre ses décisions de politique monétaire.

3. Mise en oeuvre de la politique monétaire

La politique monétaire de l'Eurosystème doit être mise en oeuvre de la manière la plus efficace tout en demeurant la plus neutre possible quant à ses effets sur la structure et l'organisation des systèmes financiers de la zone euro.

Premièrement, les opérations de marché régulières de l'Eurosystème sont conduites par voie d'appels d'offres auxquels participent un très grand nombre d'établissements de crédit de la zone euro, dans le cadre d'un processus qui est à la fois efficace, ouvert et transparent.

Deuxièmement, l'Eurosystème met à la disposition des établissements de crédit de la zone euro deux facilités permanentes, l'une pour des dépôts au jour le jour et l'autre pour des prêts au jour le jour, d'autre part. Les taux d'intérêt sur ces instruments, qui ne sont appelés à varier que rarement, déterminent un corridor entre les bornes duquel évolue, en règle générale, le taux de marché interbancaire au jour le jour.

Troisièmement, les contreparties de l'Eurosystème doivent apporter des actifs en garantie des crédits reçus. Les actifs éligibles pour servir de garantie ont été sélectionnés sur la base de critères uniformes au niveau de l'ensemble de la zone euro. Cette uniformité des critères de sélection se vérifie aussi dans le cas des actifs qui sont spécifiques à certains systèmes bancaires nationaux. Les actifs éligibles peuvent d'ailleurs être utilisés indifféremment par tout établissement de crédit de la zone euro, quelle que soit sa localisation.

Enfin, l'Eurosystème utilise un système de réserves obligatoires rémunérées, qui a deux objectifs principaux: la stabilisation des taux du marché monétaire, d'une part, et le maintien d'une demande suffisante de monnaie de banque centrale, d'autre part. Une demande suffisante de monnaie de banque centrale doit permettre de préserver le rôle de l'Eurosystème comme principal fournisseur de liquidité des systèmes bancaires de la zone euro. Ce système de réserves obligatoires a été conçu en portant une attention toute particulière aux possibles effets de distorsion de la concurrence. C'est un système léger et neutre, dont l'efficacité devrait néanmoins être grande puisqu'il permet de réduire au minimum la fréquence des opérations de réglage fin tout en contribuant à stabiliser les taux du marché monétaire.

4. Evolutions structurelles du grand marché financier de la zone euro

Marché monétaire

Au début de janvier 1999, l'intégration en un grand marché unique des onze marchés monétaires de la zone euro s'est réalisée rapidement et de façon ordonnée. Cela est particulièrement remarquable lorsqu'on considère les spécificités de chaque marché national jusqu'alors.

La dispersion entre pays et entre banques des taux d'intérêt au jour le jour, relativement importante au début du mois de janvier 1999, a rapidement diminué. Le contraire eût indiqué que le marché monétaire de l'euro restait segmenté. Les volumes des transactions sur le marché du jour le jour, sur la base des montants rapportés au titre de l'index EONIA, se sont établis à des niveaux élevés dès le 4 janvier 1999. Les fourchettes de cotation sont par ailleurs à un niveau comparable à celui des marchés les plus liquides dans le monde. Ces éléments indiquent que le marché monétaire semble d'ores et déjà avoir atteint un degré de maturité et de profondeur important, ce qui, bien entendu, est très satisfaisant du point de vue des conditions d'exercice de la politique monétaire.

Enfin, le marché du repo de la zone euro connaît également des débuts sans problèmes, ce qui laisse présager un élargissement rapide de ce marché.

Marché obligataire

Il est clair que l'intégration du marché obligataire européen n'a pas commencé le 4 janvier 1999 mais constitue un phénomène plus ancien. Sur ce marché dominé à l'heure actuelle par les titres émis par les Trésors nationaux, les écarts de taux, ou spreads, entre les différents émetteurs souverains ont eu tendance à diminuer et sont aussi devenus plus stables dans la seconde moitié des années 1990. La diminution des spreads reflète pour partie les engagements pris par les gouvernements, notamment dans le cadre du Pacte de Stabilité et de Croissance. La stabilisation des spreads indique par ailleurs aussi que les différences relatives de prix tendent maintenant à refléter, non plus les risques de change entre monnaies nationales de la zone, mais, de manière primordiale, les différences de structure, de profondeur et de liquidité des marchés ainsi que la taille et le profil par maturités des émissions.

Le grand marché obligataire de la zone euro devrait ainsi devenir un lieu où s'établissent, de manière plus efficace que sur chacun des marchés nationaux dans le passé, des prix relatifs fiables correspondant aux différences dans la qualité du crédit des divers émetteurs. Le marché devrait rassembler un très grand nombre d'émetteurs et d'investisseurs comme l'atteste le remarquable volume de nouvelles émissions en euro enregistré depuis le début de 1999. Il est par ailleurs intéressant de noter que la régularité des courbes de taux européennes a augmenté de façon notable au cours des années 1990, ce qui est révélateur du degré de finesse des stratégies de prises de position mises en oeuvre par les intervenants de marché. Cette évolution positive témoigne du degré de profondeur et de liquidité atteint par le marché européen qui, en concerne la qualité de l'arbitrage sur le compartiment des titres d'Etat, semble en mesure de se rapprocher rapidement du niveau atteint par le marché obligataire américain.

Marchés d'actions

Une évolution notable dans le domaine des marchés d'actions est la création d'indices agrégés au niveau de la zone euro, qui permettent aux investisseurs d'ouvrir ou de couvrir des positions générales sur l'ensemble des sociétés émettrices de la zone euro, éventuellement différenciées par secteur industriel.

Marchés de change

Les marchés de change subissent des évolutions structurelles importantes à l'heure actuelle. L'utilisation de plus en plus fréquente des systèmes de cotation électronique n'est pas le moindre de ces changements. Pour ce qui concerne l'euro, je me contenterai de noter que le marché de l'euro contre dollar est un marché aussi liquide et actif que l'était, notamment, celui du dollar contre mark, y compris pour ce qui concerne les instruments dérivés tels que forwards et options. Bien entendu, de nombreuses autres devises sont également échangées quotidiennement contre l'euro.

5. Evaluation de la situation économique et financière actuelle

Lors des réunions qui se sont tenues depuis le début de cette année, le Conseil des Gouverneurs de la BCE a confirmé que le taux de 3 % serait appliqué aux prochaines opérations principales de refinancement de l'Eurosystème. Ce niveau se fonde sur notre appréciation de la situation économique et financière actuelle, que je me propose de résumer maintenant.

Premièrement, au cours de ces derniers mois, la croissance monétaire a été globalement conforme à notre valeur de référence. Le taux de croissance annuel de M 3, en moyenne sur les trois mois allant de novembre 1998 à janvier 1999, a été de 4,9 %, soit un chiffre toujours proche de la valeur de référence de 4½ %, mais en légère augmentation par rapport au chiffre précédent. Sur la base d'une analyse approfondie des données monétaires et compte tenu des autres éléments disponibles, le Conseil des Gouverneurs a considéré que cette augmentation ne constituait pas un signal de prochaines pressions inflationnistes. Le Conseil a néanmoins l'intention de suivre de près l'évolution des indicateurs monétaires au cours des prochains mois, afin de déterminer les causes sous-jacentes à l'augmentation récente de la croissance de M 3 et si celle-ci est de nature permanente ou temporaire.

En second lieu, les indicateurs économiques et financiers les plus récents confirment que les incertitudes affectant l'évolution de l'économie mondiale semblent avoir diminué, notamment du fait de la bonne performance de l'économie américaine et de l'amélioration qui se dessine dans certains pays d'Asie. Certains risques pèsent néanmoins sur cette appréciation globalement positive, notamment eu égard à la durée de la crise actuelle au Brésil et aux possibles effets de contagion. Bien entendu, l'évolution de l'économie japonaise, dont le PIB a diminué au cours des cinq derniers trimestres, fait également l'objet de notre attention.

Comme nous l'avions craint, et sur la base de chiffres provisoires, il apparaît cependant que la croissance du PIB de la zone euro s'est ralentie au cours du quatrième trimestre 1998. Cette évolution reflète notamment une diminution sensible des exportations, alors que la demande intérieure continuait d'augmenter. Le taux de chômage est quant à lui resté inchangé au cours des quatre derniers mois. Les indices de confiance les plus récemment publiés montrent, de manière cohérente avec les données macro-économiques, que la confiance des milieux industriels a de nouveau diminué au cours des deux derniers mois, reprenant le mouvement amorcé dans la seconde moitié de 1998. Cette évolution reflète sans doute le dégarnissage des carnets de commandes, en particulier à l'exportation. En revanche, la confiance des ménages de la zone euro s'est stabilisée depuis le début de 1999 à un niveau élevé.

Enfin, l'indice harmonisé des prix à la consommation (IPCH) d'Eurostat, que nous utilisons comme référence, donne un taux d'inflation de 0,8% en janvier 1999 pour la zone euro, qui reste inchangé par rapport aux deux mois précédents. Au vu notamment de l'évolution des diverses composantes de l'indice, le Conseil des Gouverneurs a estimé qu'il n'existait pour l'instant pas de pression sensible, dans l'un ou l'autre sens, sur le taux d'inflation de la zone euro. Les sources de variations possibles du taux d'inflation que nous avons identifiées demeurent les mêmes que précédemment. De possibles tensions inflationnistes pourraient résulter des évolutions des salaires, des politiques budgétaires et de leur impact sur la conformité des déficits publics avec le Pacte de Stabilité et de Croissance, ou encore des taux de change réels de l'euro dans la mesure où ceux-ci ont un incidence sur les prix. A l'inverse, de possibles tensions déflationnistes pourraient résulter d'un ralentissement de l'économie de la zone euro.

6. Conclusion

Pour conclure, j'aimerais rappeler les idées qui me semblent les plus importantes. Tout d'abord, l'Eurosystème a conçu une stratégie de politique monétaire axée sur la stabilité, claire et transparente. Ensuite, cette stratégie est mise en oeuvre au moyen d'instruments choisis pour leur efficacité et leur compatibilité avec le libre exercice de la concurrence sur les marchés. Les marchés financiers de la zone euro se sont par ailleurs bien adaptés à l'introduction de l'euro et, au vu des évolutions d'ores et déjà constatées, il est raisonnable d'estimer que la profondeur et la liquidité des marchés de la zone euro, notamment obligataires, sont appelées à continuer de s'améliorer. Pour ma part, j'estime que le lancement de l'euro constitue donc un très large succès, en soi, sur le plan économique et pour le développement des marchés financiers.

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